Billet d’humeur

Rupture de mémoire imminente…

La précieuse mémoire de nos anciens.

 Pour les chercheurs en sciences sociales, les personnes qui ont aujourd’hui entre 80 et 95 ans sont des mines d’informations. Nous devons les respecter. En effet, elles sont dépositaires de savoirs et de savoir-faire, d’une manière de vivre collective révolue. Elles sont à même de parler de périodes très éloignées, de faire référence à leurs parents et leurs grands parents, de maintenir  et de transmettre du lien social sur une durée de plus de 120 ans. Elles peuvent évoquer des histoires familiales datant de la fin du XIXe siècle, les deux guerres mondiales. Elles sont en mesure d’évoquer la grande dureté de la vie durant la Deuxième-Guerre mondiale, de décrire les 10 ans de restriction qui ont suivi, les espoirs liés à la période de la reconstruction du pays et les trente glorieuses. Ces personnes ont vécu dans une société où la machine était reine, sous l’œil avisé de l’ouvrier ou de l’ingénieur, un monde où vivre en collectif avait un sens profond.

Rupture de transmission et avènement du  numérique…

Depuis l’an 2000, l’avènement du tout numérique occulte un fait majeur de notre histoire matérielle d’Europe occidentale. La mémoire des acteurs de l’ancienne économie s’évanouit sans faire de bruit. A petit pas, les témoins de l’ancien monde  quittent cette terre en emportant avec eux leurs « disques durs ». La mémoire immatérielle des femmes et des hommes de ces générations a été négligées.  Les ethnologues,, sociologues et les géographes ne se sont pas assez investis dans la sauvegarde de cette fragile information liée à l’expérience et au vécu. Il sera bientôt impossible de rencontrer un ancien ouvrier, un ancien meunier, dans leurs ateliers, de les faire parler de leur vie et de leur métier dans la langue régionale qui les a vu naître et grandir.

Amnésie de l’ancien monde.

L’ordinateur, d’abord discret, et l’informatique sont devenus très intrusifs. Il nous font oublier que nos aînés ont encore beaucoup de choses à nous transmettre. La nouvelle génération, fort de l’avènement du numérique, de la connectique, des tablettes et autres prothèses électroniques, pense que toute la réalité du monde, les connaissances, les archives, etc., sont entre leurs mains, à portée de clic.  Funeste erreur. Malheureusement, tout n’est pas écrit ou numérisé. La société qui se construit, hyper-connectée, donc individualiste, laissera derrière elle zéro mémoire individuelle et collective, et beaucoup d’humains désorientés et délaissés.  Il y aura peu de textes écrits à la main, peu de belles photos tirées sur papier, peu ou plus de témoignage de vie impliquant le collectif… bref  le vide. Jean Favier, historien  et ancien directeur des Archives Nationales, l’avait prédit dès 1980.

Hommage à nos anciens.

C’est pourquoi je m’attache (entre autre) dans la mesure de mes faibles moyens intellectuels et matériels, à travailler sur les sujets de recherche délaissés et par conséquent privés de mémoire à très court terme. Je privilégie les rencontres et  je m’efforce de trouver et de faire témoigner les acteurs du monde d’avant le numérique. Un monde ou l’on pouvait voir concrètement le fruit de son travail, le toucher, le humer, l’admirer…

Merci à toutes et à tous, vous qui m’accueillez avec sympathie et enthousiasme  dans vos maisons, pour me transmettre des bribes de vies, des éclats de mémoire. Ils seront autant  de pierres posées à la construction d’une histoire collective ainsi sauvegardée dans mes publications.

Je souhaite continuer votre œuvre de passeurs de mémoire, pour que nous n’oublions pas d’où nous venons.

Sinon, nous risquons de perdre le sens de la vie et de notre humanité.

JPH AZEMA